Les fidèles suiveurs de l’Orchestre de Paris se souviennent de cet ancien chef assistant de Paavo Järvi qui avait remplacé son directeur musical au pied levé avec une efficacité admirable : vendredi dernier, le Letton Andris Poga était de retour en visite dans la capitale, cette fois-ci à la tête de l’Orchestre national symphonique de Lettonie qu’il connaît bien depuis qu’il en est devenu le directeur musical voici dix ans.

L'Orchestre national symphonique de Lettonie et Andris Poga
© Jānis Porietis

Las, le concert n’a pas encore commencé que le temps des regrets est déjà arrivé : la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie est loin d’être remplie et la fiche proposée en guise de programme de salle introduit à peine les œuvres jouées… C’est à se demander comment les spectateurs non avertis apprécieront le programme du soir. D’autant que celui-ci est étrangement construit : il y avait sans doute mieux à faire que de donner à entendre l’arrangement par Marcel Dupré de la Fantaisie et Fugue de Franz Liszt sur « Ad nos, ad salutarem undam » (extrait du Prophète de Meyerbeer). L’œuvre de Liszt est fantastique, l’orgue de la Philharmonie est splendide mais l’ajout de l’orchestre par Dupré ne fonctionne pas dans l’acoustique généreuse de la grande salle ; et le pauvre hautboïste solo aura beau se démener visiblement sur son instrument, il paraîtra comme ses camarades complètement noyé dans le déluge sonore qui sort des tuyaux. Fort heureusement, l’efficace organiste lettone Iveta Apkalna assure le spectacle, naviguant avec une virtuosité certaine dans le contrepoint lisztien. On restera en revanche dubitatif quant à la création française de Hymnus pour orgue seul, de Pēteris Vasks, donnée en introduction du concert. Sa répétition monotone d’enchaînements d’accords déjà entendus et réentendus peine à retenir l’attention, malgré les efforts de la musicienne pour donner à l’œuvre le sérieux d’un rituel.

Iveta Apkalna
© Jānis Porietis

On attendait donc beaucoup de la seconde partie pour rehausser l’intérêt de l’événement, d’autant que le programme annoncé était alléchant : qu’il s’agisse du ballet intégral ou de ses fragments réunis en suite, Roméo et Juliette de Prokofiev est de ces œuvres naturellement spectaculaires qui flattent les bons orchestres. De fait, l’Orchestre national symphonique de Lettonie va briller à tous les niveaux : dans la sonorité d’ensemble (homogène et équilibrée), dans l’investissement des pupitres (impeccables traits virtuoses des cordes) comme dans le jeu des solistes (flûte, clarinette et basson en tête).

Ces qualités ne suffiront cependant pas à produire une interprétation mémorable. Au-delà du plaisir strictement sonore que peut procurer l’orchestre en mouvement, l’œuvre de Prokofiev porte une dramaturgie sans laquelle la partition reste lettre morte. Tout l’enjeu pour les interprètes est de parvenir à incarner les personnages et à donner l’impression de suivre les péripéties du drame shakespearien, les tensions entre les familles rivales, les rêves juvéniles de Juliette, le cérémonial du bal, le coup de foudre ou les coups de couteau. Ce soir, Andris Poga trace son chemin d’une battue indifférente, ne marque pas la lourdeur du temps qui passe et pèse dans le cœur des amants, ne transmet pas la fantaisie dangereuse du jeu de « Masques » et conclut par une « Mort de Tybalt » triomphale alors même qu’il s’agit du nœud le plus sombre de la tragédie. On quittera la Philharmonie perplexe, en se demandant quelle histoire le chef letton aura voulu nous raconter.

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