Après brother l’an dernier, le chorégraphe portugais Marco da Silva Ferreira est de retour au Théâtre des Abbesses avec sa nouvelle création Bisonte. Figure émergente de la scène contemporaine portugaise, Marco da Silva Ferreira a débuté sa carrière comme danseur dans des compagnies portugaises, mais aussi en travaillant avec Hofesh Shechter, avant de créer sa première chorégraphie en 2012 (Nevoeiro 21). Son travail artistique est une réflexion sur le corps et sa représentation moderne, injonction de puissance. Dans la droite lignée de brother, Bisonte déploie un langage corporel foisonnant, inspiré des danses urbaines (krump, voguing, popping…). Mais la pièce échoue à créer une dynamique collective et de véritables tableaux de groupe tandis que le niveau particulièrement hétérogène des danseurs gâte regrettablement la performance, qui aurait gagné à se recentrer autour d’un plus petit nombre d’interprètes.

Bisonte au Théâtre des Abbesses
© Estelle Valente

L’ouverture de Bisonte est aussi intrigante que saisissante : Marco da Silva Ferreira, à la fois chorégraphe et interprète de ses créations, s’avance en scène avec un micro pour chanter une version lente et éthérée – à peine reconnaissable – de La Lambada. Un DJ installé en bordure de la scène mixe en live sa voix avec un auto-tune qui crée un écho vibrant, et donne au chanteur des airs étranges de clown triste. Puis retentit une pulsation de basses, et la scène s’éclaire sur des danseurs aux corps musculeux vêtus de tenues de sport : shorts noirs, casquettes, genouillères, mitaines fluo et bandages noirs dessinés à même leur peau comme pour sculpter leurs muscles. Leur mouvement est inspiré du krump et pulse au rythme du beat lourd de la bande-son : steps syncopés, poitrines qui se contractent et se décontractent, sautillements sur place. Deux danseurs reprennent alors le micro pour éclater d’un rire aigre. Cette entrée en matière énergique révèle les corps, dans leur musculature héroïque, comme vecteurs de puissance. Mais ces corps ramenés à leur bestialité semblent aussi traversés d’émotions, exprimées de façon assez primaires : chants, cris, grimaces, passions qui donnent lieu à des étreintes ou des combats de cornes. Ici se situe la métaphore du bison, animal aussi puissant que peu offensif.

Cet univers urbain, qui jette une lumière crue sur le corps moderne, est une proposition artistique intéressante mais dont on arrive malheureusement trop vite à saturation. Car malgré un début enthousiasmant et quelques effets particulièrement bien maîtrisés (telles les lumières, très réussies, qui glacent la scène de néons blancs ou bleus – façon parking souterrain ou salle de sport – ou créent au contraire une ambiance plus rétro lorsque le DJ passe de la musique classique), on reste sur sa faim. La danse de Marco da Silva Ferreira, superbement déliée, est malheureusement trop sienne : ses interprètes ont visiblement du mal à s’approprier son langage chorégraphique, génial lorsqu’il est dansé par le créateur mais beaucoup plus commun lorsqu’il est dansé par les autres. Les meilleurs passages sont donc les solos, dansés par Marco da Silva Ferreira bien sûr, mais aussi par André Cabral et Anaisa Lopez, où s’exprime leur technique hip-hop acérée, ou encore l’original corps-à-corps entre une danseuse-musicienne et sa batterie.

La performance des autres danseurs est en revanche très en-deçà et choque franchement l’œil par certains décalages évidents. On ne comprend décidément pas pourquoi Marco da Silva Ferreira s’est embarrassé de cinq artistes aussi hétéroclites, puisqu’il ne fait aucune utilisation du nombre et ne crée pas de danses de groupe qui fassent système. Le dernier tableau, où les danseurs avancent vers le public en chantant tout doucement, est en réalité le seul qui forme un ensemble intéressant, mais il est malheureusement un peu tard pour raccrocher le public.

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