Branle-bas de combat dans les institutions musicales ! Outre les annonces de reprise des concerts, les festivals estivaux sortent l’un après l’autre leur programmation, les présentations de saison 2021/2022 se multiplient… et les nominations s’enchaînent : le 16 avril dernier, Gustavo Dudamel est officiellement devenu le nouveau directeur musical de l’Opéra de Paris, douze jours avant qu’Olivier Mantei ne soit désigné par le Ministère de la Culture successeur de Laurent Bayle à la tête de la Philharmonie de Paris.

Tristan Labouret
© Philippe Durville

Cette dernière annonce a suscité une vague d’enthousiasme compréhensible : Olivier Mantei a réalisé des prouesses partout où il est passé, que ce soit en fondant la FEVIS (Fédération des Ensembles Vocaux et Instrumentaux Spécialisés), en dynamisant les Bouffes du Nord ou en faisant de l’Opéra Comique le théâtre lyrique le plus excitant de France, entre créations mémorables (L’Inondation, Kein Licht…) et exhumations passionnantes (Le Domino noir, Le Postillon de Lonjumeau, Titon et l’Aurore, Ercole Amante…). Créée en 2016 salle Favart, la Maîtrise Populaire a dû par ailleurs constituer un argument de poids pour succéder au père des orchestres « Démos », le rôle social de la Philharmonie de Paris étant inscrit dans les gènes de l’institution.

Il se murmure cependant qu’Olivier Mantei n’aurait pas constitué le premier choix de nos décideurs politiques, plus immédiatement tentés par des responsables déjà établis dans la puissante organisation européenne des salles de concert (ECHO). Si une interrogation doit demeurer, c’est bien celle-ci : acteur majeur du réseau franco-français et habitué des administrations théâtrales, Mantei saura-t-il transposer ses modèles et s’imposer à l’échelle internationale des grandes salles de concert ? Si Laurent Bayle a su attirer Porte de Pantin les meilleures phalanges et les plus grands solistes, ce fut au prix de programmes souvent consensuels voire franchement redondants, surtout depuis le départ de Daniel Harding : on ne compte plus le nombre de fois où La Mer et Le Sacre du printemps ont retenti dans la grande salle Pierre Boulez… Le directeur du Comique saura-t-il imposer sa patte et sortir de la routine mainstream sans perdre le public ni les artistes ? Dans cette perspective, sur qui s’appuiera-t-il pour élaborer ses saisons ? La question n’est pas anodine, car il est bien possible qu’Emmanuel Hondré, actuel directeur du département des concerts de la Philharmonie, suive Bayle vers la sortie – il est pressenti pour prendre la succession de Marc Minkowski à l’Opéra de Bordeaux…

Olivier Mantei
© Edouard Brane

Minkowski, de son côté, se verrait bien atterrir à l’Opéra Comique et boucler la boucle du mercato des directeurs. S’il n’avait pas accumulé les erreurs diplomatiques en Gironde, le fondateur des Musiciens du Louvre serait grandissime favori pour succéder à Mantei. Mais aujourd’hui, rien n’est moins sûr : les cas Bayle et Mantei montrent bien que la dimension politique et sociale du métier est aussi importante que la vision purement artistique. La nomination de Gustavo Dudamel à l’Opéra de Paris illustre également l’importance de ce critère : lors de la conférence de presse de présentation du nouveau directeur musical, Alexander Neef comme Dudamel ont rappelé l’attachement du maestro à El Sistema, le programme d’éducation musicale du Venezuela. Pendant son mandat de six ans, le nouveau chef de l’Opéra aura sans doute à cœur de développer des actions en-dehors des temples de Garnier et Bastille ; le contraire serait une surprise et une déception.

Comme la nomination d’Olivier Mantei douze jours plus tard, la présentation de Dudamel dans la rotonde de Garnier a été accueillie avec joie dans le petit monde du classique, notamment dans la jeune génération des musiciens. Le chef vénézuélien est en effet un oiseau rare, son immense popularité étant à la hauteur d’une personnalité artistique accomplie, alliant geste précis et charisme évident. Souhaitons que l’ébauche de polémique qui est apparue sur son supposé salaire mirobolant (aucun chiffre n’a cependant filtré) s’efface derrière les succès : si le service communication de la Grande Boutique se débrouille bien, le seul nom du maestro devrait faciliter le remplissage des salles et permettre de conquérir de nouveaux publics.

Gustavo Dudamel au Palais Garnier
© Julien Mignot / Opéra national de Paris

Avant même sa nomination, Dudamel a essuyé d’autres critiques provenant cette fois-ci du milieu des lyricomanes, qui ont pointé du doigt la relative inexpérience du maestro dans le répertoire opératique. Cette accusation montre en creux l’étroitesse d’esprit de certains grands amateurs de gosiers, qui réduisent à tort le rôle du chef d’orchestre d’opéra à celui de chef de chant. Ce genre d’esprit critique ne s’émouvra pas, à l’inverse, quand certains prétendus « chefs » amis des chanteurs s’entichent de diriger une fosse sans réelle maîtrise de l'exercice, faisant des dégâts irréversibles dans des chefs-d’œuvre de l’art lyrique. Diriger l'orchestre d'un opéra de Mozart, Berlioz, Puccini, Massenet, Verdi, Wagner ne s’improvise pourtant pas, et c’est d’abord dans la conduite et l’agencement subtil des timbres instrumentaux que s’échafaudent les drames lyriques. Rompus à l’exercice d’accompagnement des solistes, les maîtres du répertoire symphonique n’ont historiquement jamais eu de mal à s’adapter aux spécificités des chanteurs. Dudamel est de ceux-là, et ses incursions en fosse ont toujours été saluées par les connaisseurs et acclamées par les musiciens : c’est d’ailleurs à la suite de la mémorable Bohème de la fin 2017 que l’Orchestre de l’Opéra de Paris, pourtant si exigeant vis-à-vis des chefs, a plébiscité le maestro et insisté pour le voir prendre la suite du très apprécié Philippe Jordan. Contrairement à ce qu'on a pu lire ici ou là, Dudamel n’est donc en rien une star parachutée à Paris mais bien un artisan talentueux, élu par la base orchestrale, et c'est bien la meilleure façon de procéder pour ce genre de poste.

Signe de cette importance capitale de l’orchestre dans l’art opératique, un décès a récemment ému l’ensemble du monde lyrique, générant un communiqué du Festival de Bayreuth et une pluie d’hommages, depuis le Ministère de la Culture jusqu’au néo-Viennois Philippe Jordan en passant par Alexander Neef ou les frères Capuçon. Il ne s’agissait pourtant pas d’une star habituée au feu des projecteurs mais d’un obscur pilier des fosses, réputé pour son jeu hyper investi et sa passion pour Wagner : Laurent Verney, légendaire alto solo de l’Opéra de Paris depuis plus de 35 ans, est mort mardi dernier des suites d’un accident de vélo à l’âge de 61 ans. À lui seul, avec son amour de l’alto intense « à l’allemande », plus proche du grain du violoncelle que de la légèreté du violon, il avait changé le son de l’Orchestre de l’Opéra. Ses collègues et tous les passionnés qui le connaissaient auront bien besoin du talent de Dudamel pour panser musicalement cette plaie béante.