C’est dans son port d’attache, le magnifique Studio 4 de l’historique paquebot de la place Flagey, et devant un public venu nombreux que le Brussels Philharmonic se produisait dans un programme Mozart à première vue peu risqué sur papier, même si l’on sait que le maître de Salzbourg ne pardonne rien à ses interprètes. La formation bruxelloise – ramenée pour l’occasion à un effectif réduit de huit premiers et huit seconds violons, six altos, cinq violoncelles, trois contrebasses et vents – était placée sous la direction de Dirk Vermeulen qui ouvrit le programme de la soirée par une ouverture de La Flûte enchantée exécutée avec franchise et fermeté. 

Sylvia Huang
© Victor Godet

Officiellement intitulé « Mozart Jupiter », ce concert aurait pu tout aussi bien être rebaptisé « Mozart Sylvia Huang », tellement la prestation de la soliste fut exceptionnelle. Chaleureusement applaudie dès son arrivée sur scène, souriante et détendue, la jeune violoniste belge, après s’être jointe aux premiers violons de l’orchestre – visiblement aux anges – dans les tuttis introductifs du Cinquième Concerto, frappe dès sa première entrée par son bonheur de jouer, sa grâce aérienne, son vibrato finement dosé, la finesse de sa sonorité, la subtilité de ses nuances et sa justesse parfaite. Dans l’Adagio, elle fascine par la pureté de sa ligne comme par la luminosité de son timbre. Après avoir fait de la cadence un moment magique où le temps paraît comme suspendu, elle aborde le Rondeau final avec beaucoup d’esprit et sans en faire jamais trop, comme dans les épisodes « alla turca » abordés avec fermeté mais sans la moindre lourdeur. 

Il est impossible d’être trop élogieux devant cet extraordinaire mélange d’un talent hors du commun, de modestie, d’infaillible instinct musical et d’une espèce de grâce rayonnante. On sent aussi que Sylvia Huang met très justement ici à profit toute son expérience de musicienne d’orchestre (après être passée par l’Orchestre national de Belgique et le Concertgebouw, elle est depuis peu la Konzertmeisterin de La Monnaie), de chambriste et de quartettiste. Applaudie à tout rompre par une salle comble, la violoniste prendra bien soin à chaque rappel de serrer en premier la main du premier violon de l’orchestre, puis de saluer l’orchestre avant le public. Ce sens de la musique comme partage se retrouvera dans le beau bis, la ravissante Berceuse tirée des Huit Morceaux pour violon et violoncelle de Reinhold Glière, jouée avec Karel Steylaerts, violoncelle solo du Brussels Philharmonic – et on relèvera la façon dont Sylvia Huang parvient judicieusement à assombrir sa sonorité dans cette jolie pièce romantique.

Violoniste de talent avant de se consacrer entièrement à la direction d’orchestre, Dirk Vermeulen offre à sa soliste un bel écrin orchestral, avec une formation en effectif encore plus réduit du côté des cordes (six premiers et six seconds violons), assurant une belle transparence et permettant aux vents de se mettre joliment en valeur.

Ce beau fini instrumental caractérise également la Symphonie n° 41 « Jupiter » de Mozart, abordée par le chef en tenant compte des acquis de la pratique historiquement informée, avec des cordes jouant sans vibrato, beaucoup de brefs crescendos en soufflets ou l’usage de baguettes dures par le timbalier. Si l’interprétation est consciencieuse et sans faute de goût, elle est hélas trop lisse et pèche par un excès d’amabilité. Certes, l’orchestre est attentif et soigneux, mais il n’est à aucun moment amené à se surpasser dans une approche où tout le monde reste bien au chaud dans sa zone de confort. C’est ainsi que le grandiose finale (où les cors se couvrent de gloire) est bien lisible mais manque terriblement de tension.

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