Astor Piazzolla
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Ce n'est pas donné à beaucoup de compositeurs d'apposer son nom à un genre musical tant et si bien que celui-ci vous est associé à jamais. C'est pourtant ce qu'a fait Astor Pantaleón Piazzolla, né il y a 100 ans aujourd'hui, avec le style du tango argentin, mélangeant le jazz et d'autres styles pour en faire son propre tango nuevo sophistiqué, qui a conquis le monde entier – malgré les inquiétudes des traditionalistes dans son pays natal. (Piazzolla est également l'un des rares compositeurs à avoir un aéroport international portant son nom, à Mar del Plata).

Pour commencer à célébrer son centenaire, voici l'artiste en personne, interprétant la nostalgie d'Oblivion sur son instrument favori, le bandonéon.

Piazzolla a inspiré des générations de musiciens dans la grande famille de l'accordéon, notamment la merveilleuse Ksenija Sidorova, qui joue ici Oblivion avec un autre des chouchous de la jeune scène actuelle, le violoncelliste Stjepan Hauser. Je suis extrêmement jaloux de tous ceux qui ont pu se rendre à la spectaculaire Arena Pula en Croatie pour ce concert de 2018 : la mélancolie de Piazzolla s'y exprime de la manière la plus puissante.

Voici Astor himself à nouveau avec son quintette. Bien qu'il ait déclaré que, contrairement au joyeux accordéon, le bandonéon était un instrument « diabolique » qui n'avait « rien de joyeux », son Adiós Nonino semble résolument optimiste, du moins dans certains passages.

Voici donc l'interview précitée, dans laquelle Piazzolla fait de son mieux pour décourager toute personne qui se bercerait d'illusions en essayant d'apprendre le bandonéon, et où l'on trouve une excellente interprétation de Zero Hour, une œuvre écrite à la fin de sa vie.

Piazzolla ne fut ni le premier ni le dernier compositeur à écrire une série de pièces représentant les quatre saisons, mais il est impossible de confondre ses Estaciones Porteñas (« Les Quatre Saisons de Buenos Aires ») avec l'œuvre d'un autre compositeur, même lorsqu'elles sont jouées par un orchestre classique conventionnel, comme c'est le cas ici, par l'Orchestre de Chambre des Pays-Bas au Muziekgebouw d'Amsterdam en 2015. Piazzolla brouille l'ordre des saisons : ainsi le dramatique « Printemps » que voici en est le troisième mouvement.

L'une des œuvres les plus jouées de Piazzolla est également en quatre parties – mais elle a été conçue ainsi dès le départ. Écrite en 1986, son Histoire du tango est une sorte de rétrospective de ses œuvres antérieures et de leur évolution au gré des différents genres qu'il a rencontrés. Piazzolla a écrit Histoire du tango pour flûte et guitare, mais la pièce a été jouée par d'innombrables formations différentes mêlant d'autres instruments. Voici le troisième mouvement, « Night Club 1960 », dans sa version originale, joué par Christian Rivet et le flûtiste hors pair Emmanuel Pahud.

Dans sa trentaine, Piazzolla s'est lancé dans une phase d'étude sérieuse de la musique savante occidentale, obtenant une bourse pour étudier à Fontainebleau avec Nadia Boulanger. Il en est ressorti avec une palette de nouveaux outils de composition, comme le montre la fugue au sein du seul opéra de Piazzolla (ou, pour être plus précis, de ce qu'il a décrit comme un « tango operita »), Maria de Buenos Aires. La voici, interprétée en 2019 au Festival de Staunton, aux États-Unis.

Le compositeur a raconté dans ses mémoires qu'il était extrêmement gêné d'avouer à Boulanger qu'il était compositeur de tango, mais que lorsqu'il a fini par succomber et lui a joué « sa » musique, elle a été enchantée. Le numéro qui a tant captivé Boulanger était Triunfal. Pour montrer combien sa musique s'adapte facilement à d'autres instruments, en voici une version pour guitare seule.

La musique de Piazzolla a été adoptée par des musiciens de styles très différents. Mais on peut constater qu'ils finissent tous par... ressembler à Piazzolla. Voici le guitariste Al Di Meola, plus connu dans le genre jazz-fusion où il peut être l'un des musiciens les plus virtuoses et spectaculaires, s'attaquant à la pièce lente Milonga del Angel (la milonga est une danse d'origine similaire au tango mais avec ses propres pas distincts). Di Meola en a également fait une excellente version à Leverkusen en 2006, que vous pouvez regarder ici.

Libertango est probablement l'œuvre la plus célèbre de Piazzolla, en partie parce qu'elle a la particularité de pouvoir être dansée en tango de salon (ce qui n'est pas toujours le cas avec Piazzolla). Elle a été enregistrée dans toutes les formations imaginables, de l'orchestre symphonique au quatuor de guitares en passant par le piano solo. Voici les Swingle Singers, qui font leur habituel « aucun instrument n'a été maltraité dans ce film » avec Libertango, devenu l'un de leurs plus grands succès.

Pour finir, voici l'enregistrement qui m'a fait découvrir Libertango, la version night-club de Grace Jones dans les années 1980 (montez le volume !) :

Quand j'ai besoin d'énergie, Libertango l'emporte à tous les coups. Quand ma tristesse a besoin d'un exutoire, aucune musique ne le fait mieux qu'Oblivion. Joyeux anniversaire, Astor.


Traduit de l'anglais par Tristan Labouret.